Tout le monde tout nu – Chronique de Sophie Durocher Chroniques Canoë
Depuis hier soir, un groupe d’artistes montréalais présente un show de danse contemporaine… dans un bar de danseuses nues! Ils offrent la totale: des filles qui font le grand écart, des danses poteau et même des danses dans les isoloirs.
Ça se passe au Kingdom-Gentleman’s Club, boulevard St-Laurent. Ça s’intitule Danse à 10. Mais si vous allez voir se spectacle, allez-vous passer pour un vieux cochon voyeur ou pour un brillant amateur d’art contemporain?
DEUX POIDS, DEUX MESURES
Personnellement, je trouve par ticulièrement brillants les huit chorégraphes qui ont eu l’idée de ce spectacle. En montrant des danseuses professionnelles dans le cadre d’un bar érotique, ils nous forcent à réfléchir à l’hypocrisie de notre société en matière de nudité.
Quand une danseuse érotique se met à poil devant un groupe de motards dans un bar de Brossard, on dit que c’est une travailleuse du sexe qui vend son corps. Mais quand une danseuse de la troupe de Marie Chouinard se met toute nue devant un groupe d’intellectuels dans une salle de spectacle du Plateau Mont-Royal, on dit que c’est une grande artiste qui explore les limites de son intimité spatio-temporelle.
Je me suis toujours demandée pourquoi il y avait deux poids deux mesures en matière de tout nus. D’un côté la nudité respectable, de l’autre la nudité détestable.
DÉESSE DU SEXE
Il y a quelques années, en 1983, la performeuse Annie Sprinkle était venue donner un spectacle au Club Soda. Cette féministe, ex-prostituée, star du porno avait présenté son spectacle dans lequel elle peignait avec ses seins énormes des oeuvres vendues ensuite dans les galeries d’art. Juste en face, il y avait un bar de danseuses, où des Linda et des Jessica se mettaient elles aussi à poil.
D’un côté de la rue, une fille qui montre ses nichons, c’est considéré de l’art. De l’autre côté de la rue, une fille qui montre ses seins, c’est considéré du cul.
PETITE PRINCESSE
Tout ça me fait penser au film My Little Princesse, qui a énormément fait jaser en France cet été. Ce film mettant en vedette Isabelle Huppert raconte la vraie histoire de la réalisatrice Éva Ionesco.
Quand elle était toute petite, dans les années 1970, sa mère la photographiait nue dans des poses très explicites et vendait ses oeuvres à des collectionneurs. À 4 ans, elle faisait des photos à la limite de la pédophilie.
Mais, les plus grands intellectuels s’extasiaient devant ces images de petite fille en jarretelles parce que sa mère Irina Ionesco était… une grande artiste.
ON S’ENTRAIDE
En parlant justement de nudité, vendredi dernier, je m’en prenais avec humour à tous ces artistes québécois qui se sont fait photographier nus pour une bonne cause, comme viennent de le faire 17 personnalités dans la campagne pour Centraide.
Imaginez-vous qu’en France, il y a 15 professeurs qui ont posé nus pour un calendrier pour protester contre «le dépouillement de l’école» et dénoncer le fait que dans leur pays «l’école est nue».
Ça va peut-être donner des idées à quelques personnes au Québec. Les gens de la construction pourraient eux aussi poser nus devant des tractopelles ou suspendus à une grue pour nous prouver qu’ils n’ont… «rien à cacher».
Source : Journal de Montréal
Journaliste : Sophie Durocher